Chère Fondation Mozilla, tu me permettras de te tutoyer, et je t’appellerai MoFo afin de faire plus court.
Une chose me fascine chez toi, c’est ta singularité. Tristan Nitot, un de tes anciens « cadres », disait très justement lors d’une interview pour les 10 ans de Firefox :
Rien n’est jamais facile chez Mozilla : nous existons pour défier le statu quo.
Je trouve dommage que bon nombre de personnes oublient cette singularité. C’est peut-être la rançon de la gloire, les gens oublient que ton existence même est une singularité. Des milliers de bénévoles, une relative « petitesse » calée entre d’énormes acteurs avec d’énormes moyens financiers (Google, Apple, Microsoft…), un statut à part, pas d’actionnaires, etc. Quoi qu’on en dise, la MoFo, c’est une curiosité !
Je suis comme ça, ne m’en veux pas : quand je vais voir un concert, je suis presque plus fasciné par la foule que par le concert en lui-même. J’aime regarder les gens, c’est au moins aussi fascinant que la performance en elle-même.
Ajoutons à cela que ton histoire n’est pas triste non plus : tu es née de la mort de Netscape, qui a été lui-même ultra-dominant et qui s’est fait étouffer par Internet Explorer. En matière de résilience, c’est une histoire… singulière. On en revient tout le temps à ce mot. :)
Et pourtant, tu déchaines les passions. Autant chez tes détracteurs que chez tes supporters. On dit que l’amour n’est pas très différent de la haine, ce proverbe n’a jamais été aussi vrai qu’en ce qui te concerne. Et ce n’est pas nouveau, on en parlait par blogs interposés déjà en 2011, et ça interrogeait encore des personnes 2 ans plus tard. Et on n’est pas les seuls, loin de là.
En fait, je m’interroge sur le pourquoi de cette passion.
Mon avis personnel – qui assume clairement les limites de sa clairvoyance – est que tu incarnes une forme d’utopie dans la perception qu’on a de toi. Le petit poucet, le compétiteur qui n’est pas mû par l’argent, l’acteur qui veut incarner une forme d’intérêt général. Quoi qu’on en dise, incarner cela déchaine autant les passions positives que négatives. Les fans adorent, les antis n’y croient pas. Fais-en l’expérience : fais lire ton propre manifeste à un fan ou à un anti, cela ne peut pas ne pas les faire réagir. Les fans vont mettre la main sur le coeur et enlever leur couvre-chef, les antis vont le mettre à l’épreuve ou le critiquer.
Moi-même, je n’échappe pas à cette passion : tu es liée à ma propre histoire. Casser le monopole d’Internet Explorer 6 nous a fait sortir d’une période moyenâgeuse pour le Web. Quand je vois aujourd’hui que des (grands) gamins ronchonnent parce qu’ils ne peuvent pas utiliser des trucs cools comme Flexbox ou je-ne-sais-quel-truc comme GridLayout, j’ai envie de leur rappeler qu’il y a un peu plus de 10 ans, les trucs dingues qu’on voulait faire étaient… des coins arrondis ou du display: table
en CSS. Hé oui, nous sommes partis de très loin. Rien que pour ta contribution à promouvoir des standards et une saine concurrence, je t’en suis redevable. Et j’aime à penser qu’un compétiteur non mû par l’argent (même s’il en a besoin comme tout le monde) est nécessaire.
Et quoi qu’on en dise, tu n’as jamais été ménagée. Je me souviens du séisme annoncé du rapid release process pour Firefox 5. Et tu y es arrivé. Et il n’y a pas eu de séisme. Et les exemples sont légion, peut-être les devins de tous poils aiment annoncer ou commenter à grands renforts de mots exagérés. Laissons-les dire, cela les occupe.
Je trouve que tu n’es pas épargnée non plus ces temps-ci. Critiquée par beaucoup, à tort ou à raison, ce n’est même pas ce dont je veux te parler ici, il y en a suffisamment qui le font déjà, parfois de manière assez juste, parfois de manière acerbe. C’est le lot de la passion. Je ne veux pas être l’énième à le faire. La passion me fatigue.
On dit que dans les moments difficiles, les amis ne sont pas là pour accabler encore plus, mais pour permettre de respirer. Les amis sont là pour te dire les choses avec tact mais sans pour autant oublier le fond. Et te rappeler pourquoi ils t’aiment.
- J’aime le Mozilla Developer Network. De plus en plus maintenant que je me mets sérieusement à JavaScript.
- J’aime ton inspecteur de code sous Firefox. De plus en plus aussi.
- J’aime les efforts que tu as fait pour que Firefox bouffe moins de mémoire et soit devenu très très rapide, particulièrement à mon boulot.
- J’aime aussi le fait que tu soies un maillon important dans le respect de ma vie privée (ça j’ai toujours aimé).
- J’aime aussi les extensions de Firefox (ça aussi j’ai toujours aimé).
- J’aime aussi ton niveau d’accessibilité (ça aussi j’ai toujours aimé, et de plus en plus).
- J’aime ton manifeste.
- Et je n’aime pas seulement les points précédents.
Pourquoi je te dis cela ? J’aime rétablir une forme d’équilibre. Quand beaucoup te critiquent, je veux te rappeler pourquoi je t’apprécie. Et tant pis si je suis le seul, j’assume ma propre singularité d’amateur des causes difficiles. :)
Et en bon ami, je me fais du souci pour toi. Car je ne vois pas comment te le dire autrement : nous avons besoin de toi. Pour le Web, pour la diversité, pour les standards, pour 10000 raisons… et à plus modeste échelle ne serait-ce que pour mon travail. Pas en situation de monopole, pas flamboyante à 75% de part de marché, je ne veux pas te demander l’impossible. Mais dans une bonne forme. Car les constructeurs de navigateurs sont devenus une pièce maîtresse sur le Web, on s’en est enfin rendu compte.
Je veux croire à ta capacité de résilience. À ta capacité de défier le status quo et à faire mentir les prophéties auto-réalisatrices. Même si ça n’est pas toujours facile ou agréable. Ton bébé phare est à l’origine un Phoenix qui a su prendre son envol. Je veux que tu ailles bien car le Web sans toi, ce n’est pas pareil. Le Web a une place importante dans ma vie, c’est mon travail, ma passion, etc.
Sans toi, tout cela n’est pas pareil.